D ans une région déchirée qui soigne encore ses blessures, Hargeisa la capitale de l’état non reconnu du Somaliland prospère. Dans ce paysage de rues à peine desservies et presque toujours obstruées par une parade bovine, Hargeisa a réussi l’exploit d’ériger un Salon international du livre : Hargeisa International Book Fair, dont la sixième édition (Août 2014) a fait de cet Etat qui se trouve à l’intérieur des frontières internationalement reconnues de la Somalie, le point de chute d’amateurs avertis de littérature.
Bâtir une conscience collective au moyen du livre
Le salon du livre illustre la progression de la Somalie toute entière, hier théâtre d’une guerre civile dévastatrice à la fin des années 1980 et au début des années 1990, aujourd’hui une démocratie émergente avide de reconnaissance internationale. «Reconstruire après une guerre est un processus de longue haleine », a déclaré Mohammad Ayan, l’un des principaux organisateurs de la foire. « Nous voulons nous servir de notre culture et de notre littérature comme véhicules de notre histoire (. . .) nous voulons parler de nos défis et créer des liens avec le monde ». La présence de journalistes italiens, d’un groupe d’éditeurs du Kenya, de poètes britanniques aux cotés des universitaires et des écrivains de Grande-Bretagne ou de New York, soutient sans doute ce propos.
Célébrer des figures emblématiques
La tête d’affiche de la foire était le poète Mohammad Warsame, plus connu sous le nom de Hadraawi. Comme Ismail Kadaré ou Gabriel García Márquez, il est une figure littéraire dont les productions sont marquées par les bouleversements qu’a traversé son pays. Apres cinq ans dans les années 1970, Hadraawi a vécu en exil au Royaume-Uni, avant de retourner au Somaliland où ce mystique, conservateur, incarne désormais la parole libre qui puise dans la langue locale et les thèmes culturels du terroir pour appeler à la relance d’un destin national pour le peuple somalien.
Au cours de la déclamation de ses poèmes lors de la session d’ouverture, le public, emballé s’est accroché à chacune des syllabes de ses vers dont les lignes se terminent par des cris et des murmures gutturaux, que le poète manie si bien. Ce fut l’occasion d’annoncer la première collection de son œuvre traduite en langue anglaise publiée par un Centre de traduction de poésie basée en Italie.
Le Somaliland s’est détaché de la Somalie après la chute du gouvernement de Barré en 1991. Bien que les Nations Unies ne le reconnaissent pas comme Etat indépendant, cela ne l’a pas empêché de créer sa propre monnaie, ses passeports, son armée et son gouvernement avec des institutions qui fonctionnent.
Jacques Epangue